Histoire en Buch

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Dossier (Le Grand Malheur)

1836 – "Le grand malheur"

(dossier)

 


 

1)      Lettre de Jean Fleury, maire de La Teste, au préfet de la Gironde (1er avril 1836)

 

"C'est le coeur brisé de douleur et au milieu des cris déchirans qui retentissent aujourd'hui dans cette commune que je prends la plume pour vous annoncer le malheur dé­plorable qui cause cette désolation générale en plongeant dans le deuil et la détresse un nombre considérable de fa­milles. Le 23 du mois dernier, huit bateaux de pêche sorti­rent du Bassin d'Arcachon et mirent à la mer ; ils auraient dû rentrer le 24, avec leur pêche, mais deux seulement, avec de grands périls, furent assez heureux pour rentrer, ce que ne purent faire les autres, la mer étant trop rude lorsqu'ils voulurent donner dedans. Ils furent obligés de s'élever au large et, depuis lors, le temps et la mer ne leur permirent plus d'aborder l'entrée.

 

Cependant, le dimanche de Rameaux, 27 du passé, ils furent aperçus vis-à-vis le Cap Ferret, proches de la pas­se, mais la mer s'étant encore trouvée rude il leur fut im­possible d'entrer, et, voyant que le temps devenait mena­çant, ils firent voile vers le nord dans le dessein d'atteindre l'entrée de la rivière de Bordeaux, ou quelque autre port.

 

Malheureusement, cette détermination fut tardive, puisque avant d'atteindre aucun abri, ils furent surpris par l'affreuse tempête du 27 au 28 et, aujourd'hui, après avoir été plu­sieurs jours en proie aux plus pénibles anxiétés, nous ap­prenons la triste nouvelle qu'ils ont tous péri corps et biens.

 

Chacun de ces bateaux était monté par treize hom­mes, ce qui fait une perte de soixante-dix-huit personnes...

 

En vous l'annonçant, Monsieur le Préfet, permet­tez-moi de vous supplier de recommander à la bienveillan­ce publique, et notamment à celle de vos administrés, ces familles infortunées. Le souvenir reconnaissant que nous conserverons des dons qui furent faits en 1831, à l'occa­sion d'un sinistre du même genre, mais moins terrible, nous donne la confiance que ces secours, dans cette cir­constance, ne seront ni moins empressés, ni moins abon­dants..."

 

(L'indicateur Bordelais du dimanche 3 avril - Document communiqué par Monsieur Jacques Plantey).

 


 

2) Un seul marin identifié

 

Aujourd'hui dix neuf mai mil huit cent trente six à neuf heures du matin, nous Pierre LALANNE adjoint du maire de La Teste, chargé des fonctions d'officier public de l'état civil de ladite commune, en exécution de la lettre de Monsieur le Procureur du Roi à Bordeaux de hier dix huit de ce mois, accompagnant un procès-verbal du maire de Lège et d'après lequel il est constaté qu'un cadavre trouvé sur la côte de cette commune a été reconnu être celui du nommé Joseph ERRECALDE marin.

Comme il est constant, par des documens fournis par Monsieur le Commissaire des Classes de ce quartier que le nommé Joseph ERRECALDE, né à Saint-Martin départe­ment des Basses-Pyrénées le sept fructidor de l'an dix, marié à La Teste le sept septembre mil huit cent trente trois avec Jeanne MEOULE fesait partie de l'équipage d'un des bateaux pêcheurs qui ont péri le vingt huit mars der­nier et que l'identité contenue audit procès-verbal du mai­re de Lège, s'accorde avec les circonstances de l'embarque­ment du dit ERRECALDE, nous le transcrivons tout au long, dans le registre des actes de décès de la commune pour constater le décès de ce marin.

 

Suit la copie : "L'an mil huit cent trente six le vingt cinq du mois d'avril à six heures du matin, nous adjoint maire de Lège sur l'invitation à nous donnée ce jour par Monsieur Pierre DANEY adjoint de la commune de Gujan, commissaire délégué par Monsieur le Procureur du Roi à Bordeaux, suivant la lettre que ce ma­gistrat lui a adressée, à la date du cinq avril mil huit cent trente six, nous nous sommes transportés au lieu appelé Bellevue sur la côte de Lège pour y constater l'identité d'un nau­fragé. Là, assisté de Monsieur le délégué et du sieur Fran­çois PLANTEY, âgé de cinquante six ans, marin, Rémon MAURIN, âgé de cinquante sept ans, tous les deux de La Teste, Pierre BAUBISSON, tonnelier, âgé de quarante sept ans, Pierre GOGNET marin, âgé de quarante ans tous les deux habitans et domiciliés à Gujan, Pierre ROUSSET ma­rin, âgé de vingt neuf ans de la commune d'Audenge, Jean COURTY, marin âgé de quarante ans de la commune de Lanton, Guilhaume DUBET marin âgé de trente un ans et Gérard DUBOURG, marin, âgé de trente neuf ans, tous les deux habitans de la commune d'Andernos,

 

Nous avons apperçu un endroit ou un cadavre avait été inhumé hier vingt quatre avril, à six heures et demie du soir par les employés de la douane au poste du Grand Crohot et le sieur GARRELONGUE Colas, préposé des doua­nes, attaché audit poste nous a déclaré avoir fait la décou­verte hier matin, vingt quatre du même mois vers les six heures. Nous avons procédé immédiatement à son exhuma­tion.

 

Ce cadavre de la taille de cinq pieds trois pouces était vêtu des habillemens suivans : une chemise de laine noire, une autre sur la peau de moleton blanc, un pantalon de toile blanche, un caleçon en baiète bleu, des bas de laine bleu gris.

 

Le sieur Pierre GOGNET, marin delà commune de Gujan, âgé de quarante ans, Raymon MAUVIN, âgé de cin­quante sept ans de la commune de La Teste ont déclaré re­connaître le naufragé à la taille, aux habillemens, à une raye bleue qui existe sur la chemise de laine noire et encore au peu de longueur des bras et des mains. Ils nous ont dit que s'était le nommé Joseph Jean ERRECALDE âgé de tren­te quatre ans, marié avec Jeanne MEOULE.

 

En conséquence nous avons dressé le présent procès-verbal de reconnaissance d'identité qui a été signé par Mon­sieur le Délégué ce que n'ont pu faire les dits GOGNET Pierre et Ray mon MAURIN pour ne savoir de ce par nous inter­pellés après lecture.

 

Fait au lieu déjà désigné de Bellevue, les jour, mois et an que dessus.

 

Signé : DUCAMIN et DANEY, officier de santé".

 

(Etat-civil de La Teste-de-Buch)

 


 

3)      Soixante-dix sept marins disparus

 

Le 16 juin 1840, le Tribunal de 1ère Instance de Bor­deaux officialisait la disparition de 77 marins. Ce jugement ne fut transcrit dans l'état civil de La Teste-de-Buch que le 13 mars 1843. Sur le registre des décès, les disparus sont mentionnés par ordre alphabétique.

 

Les Archives de la Marine, actuellement conservées à Rochefort, furent aussi annotées. Sur les rôles d'équipa­ge des six chaloupes qui périrent figure la même mention : "Naufragée sur la côte de Grayan et du Verdon, près de la Rivière de Bordeaux le 28 mars 1836. L'équipage composé de 13 hommes a péri".

 

En face de chaque victime, il est indiqué : "Présumé disparu le 26 (?) mars".

 

La confrontation des deux sources - testerine et rochefortaise - permet d'établir le tableau suivant :

 


 

LT 26 "le jeune Saint-Paul" - chaloupe construite en 1828, appartenant à Bellangé, armée à Audenge, commandée par Pierre Suret

 


 

LT 27 "L'Augustine" - construit à La Teste en 1828, pour 10 tonneaux, appartenant à François Dumur dit Peymic, armé à Gujan, commandé par Pierre Gory de Gujan.

 

 


 

LT 31 "L'Argus" - construit en 1834 à La Teste, 10 tonneaux, appartenant à Dessans dit Fils, armé à Audenge, commandé par Darman Martin dit Cham­pagne, pilote.

 

 


 

LT 32 "La Clarisse" - construit en 1833 à La Teste, 10 tonneaux, appartenant à Dessans, dit Fils, armé à La Teste.

 

 


 

LT 33 "La Jeune Aimée" - construit en 1833 à La Teste, 10 tonneaux, appartenant à Pierre Bellangé, armé à Audenge, commandé par François Bourrut.

 

 


 

LT 35 "Le Saint-François" - construit en 1834 à La Teste, 9 tonneaux 65/94, appartenant à Bosmaurin, armé par Mesple jeune à Audenge.

 

 

(Etat civil de La Teste-de-Buch et Archives de la Marine - Nous remer­cions Monsieur Noël Gruet du dépouillement qu'il a effectué à notre demande à Rochefort)

 

Ce dossier a été publié dans le Bulletin de la Société Historique et Archéologique d'Arcachon et du Pays de Buch, n° 83 du 1er trimestre 1995.

 


 

 

1839

Lettre du curé de Gujan à l'archevêque

au sujet des veuves du naufrage de 1836.

 

 

Monseigneur

 

Six chaloupes de pêche, montées par 78 marins des cantons de La Teste et d'Audenge, périrent corps et bien sur la côte de L'Hôpital de Grayan, en Médoc le 28 Mars 1836. Soixante cinq marins étaient mariés. Quelques unes des veuves qu'ils ont laissés, et en assez bon nombre, voudraient contracter un nouveau mariage, mais le décès des maris n'ayant pas été légalement constaté, elles ne peuvent être admises à un nouveau mariage, sans avoir préalablement rempli certaines formalités qui offrent quelques difficultés.

 

Cependant, Monseigneur, dans l'intérêt de la religion et des mœurs il serait à désirer que ces veuves, pour la plupart encore jeunes, fussent autorisées à se remarier, car déjà quelques unes de la paroisse de Gujan ont passé contrat de mariage, ce qu'on appelle «faire commencement», et si elles n'ob­tiennent dans peu de temps cette autorisation, elles vivront en concubinage, et quelle grave calamité pour cette paroisse ! Déjà le scandale fait des progrès effrayants et le mal ne peut qu'empirer.

 

Veuillez.... etc.

 

(Archives Départementalers de la Gironde II. V. 150)

 

Extrait du Bulletin de la Société Historique et Archéologique d'Arcachon et du Pays de Buch, n° 30 du 4ème trimestre 1981.