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150e anniversaire d'Arcachon
Chronique n° 010
Chenaux, esteys, arrouilles et crassats
* * *
Arcachon a pris, en 150 ans d’existence officielle, une excellente
réputation touristique car la ville se trouve aux rives mêmes d’un
monde étrange. Un monde que l’on devine depuis ses jetées et qui
s’imbibe d’eau salée grâce à un réseau parfois secret d’arrouilles,
d’esteys et de chenaux. Ils portent de bien jolis nom, ces esteys.
Écoutez donc : estey d’Afrique, estey de la Réousse ou encore estey
de Pelourdey. Étroites coulées taillées dans la vase ou dans le
sable, ces esteys conduisent à des lieux précis, parcs à huîtres ou
étroites coulées vers des replis quasiment invisibles depuis la côte.
D’où l’expression "ne manque pas l’estey". Une fausse manœuvre,
dans cette phase délicate d’approche, conduit inexorablement à un
échouage dont on se gaussera longtemps dans les cabanes !
Plus étroit encore que l’estey, l’arrouille s’y déverse en
drainant l’eau des vasières, ces terres lourdes où poussent de
luisantes herbes rèches. Evidemment, on navigue plus facilement dans
le chenal. Il s’appelle Mapoutchet, du Passant ou Moutalette.
Le chenal va de plus large, presqu’un fleuve comme le Teychan
qui coule en face d’Arcachon et continue l’Eyre, au plus étroit, tel
le chenal d’Andernos, d’où il faut avoir un sacré coup d’ oeil pour
découvrir l’entrée du port du Bétey. Quant au chenal de Lège, il n’y
conduit surtout pas, s’arrêtant à hauteur de Claouey et finissant sa
douce courbe vers l’estey du Pout qui se perd dans des crassats.
Les crassats, qu’on appelle aussi en gascon, les "tatchs",
forment des zones que la marée haute recouvre, parfois à grande
vitesse. Ils constituent les deux tiers de la surface du Bassin et
abritent le plus grand herbier maritime d’Europe. C’est dire s’il
faut éviter de déverser n’importe quoi dans le Bassin car ces
fragiles prairies en constituent un des rouages essentiels de son
complexe écosystème. Les crabes, les mollusques ou les poissons de
toute écaille y trouvent, à marée haute, leur table préférée.
A marée basse, dans un deuxième service, s’y régalent les
bécasseaux échasse, les courlis cendrés, les huîtriers-pie, les
barges rousses et même les chevaliers à pattes jaunes. Quarante
espèces d’ oiseaux de ce genre nichent ou font escale dans le Bassin
qui s’ouvre ainsi sur le ciel. Au-delà des "tatchs", l’eau saumâtre
atteint les marais maritimes qui deviennent des prés salés,
hébergeant une flore et une faune d’une variété inouïe.
Les prés salés franchis, on peut tenter de marcher dans une
dernière zone, plus terrestre que maritime car elle ne voit l’eau que
quelques heures par an. Ce qui ne l’empêche pas de constituer un
élément essentiel de la
poésie sauvage qu’exhale en ces lieux, le Bassin. Enfin, on ne
saurait expliquer le charme de ce Bassin si l’on ne parlait pas de
son île aux Oiseaux qui fait rêver car elle semble inaccessible. Il
faut aussi évoquer les bancs, pourtant très éphémères. Car le trop
couru banc d’Arguin a eu au moins cinq prédécesseurs que les Titans
ont transformé en dune du Pilat. Voilà donc maintenant achevé ce
portrait du Bassin au naturel. Il offre tout ce qu’ il faut pour que
les hommes y vivent au mieux. Mais c’est une autre histoire.
A suivre ...
Jean Dubroca
Chronique sur Radio Côte d'Argent - 90,4 Mhz
(26 janvier 2007)