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150e anniversaire d'Arcachon
Chronique n° 007
Des grognements d’Orénoque
* * *
Les écrivains nous l’ont assuré : le Bassin se pare des couleurs
les plus diverses, à chaque instant du jour, du matin au soir et les
saisons y allument des éclairages somptueusement divers. Et, la
fierté des communes voisines d’Arcachon dût-elle en souffrir, il faut
bien reconnaître qu’un des formidables atttraits d’Arcachon c’est
que, du Moulleau à l’Aiguillon, la ville offre le plus beau balcon
qui se puisse trouver sur ce Bassin. A l’Aiguillon, ils s’ouvre sur
les doux horizons testerins et les lointains bleutés du delta de
l’Eyre. Au Moulleau, il offre les lignes à la fois tourmentées et
somptueuses des passes et de la Grande dune, tandis que le front de
mer exhibe le foisonnement discret des stations cachées sous une
ligne de pins à peine écornée par quelques clochers, dépassés en
hauteur, signe des temps, par des châteaux d’eau en béton
Ce spectacle en cinémascope, changeant comme sous des spots
hollywoodiens, nuancé comme les chatoiements du Nil à Assouan et
bleuté comme un lagon, il ne pouvait un jour que s’ouvrir à des
spectateurs envoûtés. Mais que l’on n’oublie surtout pas que le
Bassin, tel un chat, conserve ses instincts sauvages, inscrits dans
sa géographie. Cette alliance de douceur et de férocité plait car la
Petite mer de Buch, hormis quelques coups de gueule qui comptent,
apporte la sérennité quand l’océan devient fou.
Cependant, ce Bassin repose sur des socles monstrueux. La
puissance de ses courants, 1 mètre 50 à la seconde, se cogne à
l’Atlantique et aux bancs des passes qui, à peine profonds de six
mètres, s’abiment dans le gouffre de l’Atlantique, en une cataracte
qui soulève souvent des vagues hautes comme une maison et que les
marins appellent des bâtardes, c’est tout dire. Elles ne valent pas
mieux que les “bouillocs”, presqu’aussi hautes mais, de plus, les
garces, chargées de sable bouillonnant. Ces tourbillons dont on ne
perçoit d’Arcachon que le sourd grognement, transbahuttent chaque
année au moins un million de mètres-cubes de sable et, à chaque marée, pompent de 150 à 400 millions de mètres-cubes d’eau, dans un débit moyen de 30 000 mètres-cubes par seconde.
On entend alors, c’est sûr et certain, comme des grognements
d’Orénoque ou des mugissements amazoniens. Ces puissants
courants,têtus comme un taureau bazadais, rabottent les côtes,
déplacent les dunes,
emportent des espaces entiers de territoire, au fin fond des mers,
renouvelant ces combats de Titans que Zeus, qui ne rigolait pas avec
la discipline, enferma dans le Tartare, un enfer infini. Ils s’en sont
pourtant évadés pour revenir se bagarrer entre les bouées 1 et 5.
Mais on s’égare, on s’égare, car partis à la recherche du kilomètre
de largeur du rivage perdu en trois siècles du côté du Moulleau et
des 2000 mètres de ce même rivage, engloutis en face du Pilat. Peut-
être, après tout, que cette fragilité du Bassin, cette impression que
rien ne pourrait y durer, peut-être est-ce ce sentiment qu’on saisit
ici des secondes qui se sont déjà enfuies quand on les vit, peut-
être cela fait-il le charme d’Arcachon ? Mais c’est une autre
histoire. A suivre...
Jean Dubroca
Chronique sur Radio Côte d'Argent - 90,4 Mhz
(mardi 23 janvier 2007)