http://shaapb.free.fr/
150e anniversaire d'Arcachon
Chronique n° 004
Un présage forestier
* * *
La forêt, donc, constitue l’un des quatre piliers qui expliquent
le développement d’Arcachon. Cette vieille forêt usagère, on la
trouve, aujourd’hui encore farouchement gardée, au sud-ouest de La
Teste, tout au long du cordon des grandes dunes littorales, jusqu’au
lac de Cazaux. Elle lui offre un écrin de pure verdure bleutée qui,
globalement, n’a pas changé depuis des siècles, la base aérienne
exceptée ... La forêt où naîtra Arcachon ressemblait assez à l’actuel
massif testerin. D’ailleurs, on en voit un échantillon, à droite de
la voie directe et jusqu’à la voie ferrée, en arrivant à Arcachon. Le
parc Pereire aussi, depuis l’allée des Ramiers, pourrait donner une
idée idyllique de la forêt primitive et l’on voyait même, dans la
ville d’ hiver, il y a peu, un énorme pin, dont le chauvinisme
aidant, on ferait une borne émouvante, jalonnant cet enracinement
dans ce passé sylvestre.
Cependant, la forêt arcachonnaise, le climat moins humide
aidant, était un peu différente de la forêt testerine. Pour tout
dire, notre forêt était beaucoup plus aimable. On n’y trouvait pas
ces fourrés impénétrables, ces halliers touffus, ces zones
marécageuses et même ces vallées du loup qu’un visiteur effaré
découvrait là bas vers 1816. Des loups, des loups aux portes
d’Arcachon ! La forêt arcachonnaise, elle, se composait de très
solides pins. Les chênes, qui formaient autrefois une vaste chênaie,
n’existaient plus en nombre au début de XIXè, que sur les hauteurs,
comme sur la dune Pontac, plus difficiles d'accès. En bordure des
chemins, les usagers avaient utilisé ces chênes depuis fort belle
lurette, afin de construire de robustes charpentes de maisons,
d’épais bordages ou de respectables carènes de bateaux. Les droits
d’usage le leur permettaient.
Cependant, la Petite montagne montrait une végétation très
fournie et parfois aux éclats méditerranéens. On y avançait parmi les
ajoncs, les aubépines, les arbousiers luisants, les houx centenaires
acérés de vert vif et les genêts ponctués d’or. Et puis, au hasard
des saisons, on marchait sur des tapis de bruyère, parfois entre des
haies de fougères et le long des vrilles de chèvrefeuille, enlacées
autour de vieux troncs, comme les courbes d’une colonnette. Et puis,
en se baissant un peu, on voyait le bleu vif des véroniques, le jaune
brillant des millepertuis ou la fine dentelle des fraisiers de bois.
A l’automne, on bousculait des tapis de champignons tandis, que
selon les mois, on entendait jouer les grives musiciennes, siffler le
merle noir ou s’enfuir à coups de claquements d’ailes effarouchés, la
bécasse mordorée. Étonnez-vous qu’une pareille forêt, qui tient du
paradis terrestre, ait engendré une ville faite pour les loisirs, les
jeux, l’insouciance, la parade et le plaisir. Et ce n’est pas un
hasard si les vents d’ouest l’ont séparée de sa voisine testerine par
un monceau de sable. Mais personne alors n’y a vu un présage, un
signe du destin, un mouvement de cette fatalité qui allait, un jour,
couper le destin commun des deux forêts. Mais c’est une autre
histoire.
A suivre...
Jean Dubroca
Chronique sur Radio Côte d'Argent - 90,4 Mhz
(jeudi 18 mars 2007)