Histoire en Buch

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Trois Mémoires de Guillaume Desbiey (Editions de la SHAA)

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Trois Mémoires d’un précurseur landais méconnu : Guillaume DESBIEY

 

146 pages – Prix : 10 €

Guillaume Desbiey est à coup sûr une des personnalités les plus fortes du XVmème siècle aquitain, et pourtant, il a été jusqu'à ce jour un des grands oubliés de 1 'Histoire, avec son frère le chanoine Louis-­Mathieu Desbiey, auquel sa mémoire demeure indissolublement liée. Certes, une rue de Bordeaux porte le nom de Desbiey, mais la postérité n'a voulu retenir que celui de Brémontier, alors que l'antériorité des travaux des deux frères est incontestable. Mais ne polémiquons pas: il est bien connu qu'une découverte ou une invention n'est pas toujours imputable à un seul homme, que l'idée est souvent «dans l'air» et que les inventions quasi concomitantes ne sont pas rares. Pour la technique de fixation des dunes, les noms de Brémontier et des frères Desbiey doivent être retenus, en association avec les obscurs paysans landais qui savaient déjà empiriquement arrêter la progression des sables avec des semis de genêts et d'ajoncs, protégés par des branchages.

 

Guillaume Desbiey (1725-1785) naquit à Saint-Julien-en-Born, aux confins du Pays de Born et du Marensin, pans une bonne famille de bourgeoisie rurale, un milieu de basoche, mâtiné de négoce et de bouti­que, cherchant son bien autant dans l'exploitation foncière que dans les bénéfices ecclésiastiques ou la Ferme Générale. C'est dans le cadre de cette dernière que Guillaume Desbiey va donner sa véritable mesure. En tant que capitaine général des Fermes, il évolue alors pendant une vingtaine d'années dans un espace triangulaire qui a pour sommets : Bayonne, Bordeaux et La Teste, c'est-à-dire les Landes. Cet homme cultivé, volontaire, dévoré de bien public, grand lecteur de l'Esprit des lois et de l'Encyclopédie se dépense alors sans compter au service de l'organisme qu'il représente et surtout du pays dont il est l'enfant. Mais le malheur est bien un de ses titres, comme ill' écrit en 1783 au contrô­leur général des finances, Calonne. Poursuivi qu'il est par la calomnie, sa vie à La Teste n'est qu'un enfer sur arrière-fond de procès inces­sants, de chargements fictifs, de barques soi-disant naufragées, de ser­vante faussement engrossée, de différends et de deuils familiaux. En 1781, ce ne sont pas moins d'une centaine de témoins, surtout testerins, qui sont auditionnés! Le juste est-il la victime de l'obscurantisme tes­terin ? Au vu du froid récit événementiel, on serait tenté de le croire, mais n'oublions pas que l'homme était «un grand tracassier», quoiqu'il s'en défende, qu'il était d'un caractère difficile, procédurier, âpre au gain.

 

        Que dans un tel climat de tension, Guillaume Desbiey ait pu composer les précieux rapports ci-joints relève, sinon du miracle, du moins de l'enthousiasme d'un visionnaire qui ose le rêve insensé des «Landes cultivées et fertilisées». Parmi ces mémoires tous dignes d'in­térêt, celui sur «la meilleure manière de tirer parti des landes de Bor­deaux» est bien son morceau de bravoure, digne d'avoir été couronné en 1776 par l'Académie de Bordeaux. Cette longue dissertation très charpentée part du triste constat brossé dans la première partie, le sous-­développement landais, surtout des Grandes Landes, «de tristes déserts - note-t-il avec pertinence - des solitudes hideuses, des sables brûlants pendant l'été, des marais et des abîmes pendant l'hiver; un pays mal­sain dans toutes les saisons». Pour briser cette léthargie, le receveur entreposeur des Fermes de La Teste ne propose pas un remède miracle, mais des solutions intéressantes, d'ailleurs liées les unes aux autres. L'adepte des Lumières gagné à la physiocratie insiste sur la nécessaire ouverture de ce monde replié sur lui-même par des routes et des ca­naux. Le propriétaire terrien gagné à la réflexion économique prône un aménagement global de l'espace landais, dans lequel les terres médio­cres, malheureusement majoritaires, ne seraient pas sacrifiées au profit des meilleures. Doué de vues prémonitoires, l'agriculteur expérimenta­teur se fait le pionnier de la sylviculture, de la culture du «bled d'Espa­gne», c'est-à-dire du maïs, de la division rationnelle des Landes en grands carreaux de plusieurs journaux séparés par de larges allées pare-feu. Par delà les immanquables références intellectuelles à Montesquieu et au modèle chinois, le mémoire révèle avec bonheur l'homme de terroir, nourri d'une expérience quotidienne. Et c'est ce vécu qui donne tout son sel à ces pages, difficiles d'accès jusqu'à ce jour, que la Société Historique et Archéologique d' Arcachon et du Pays de Buch et son président Michel Boyé ont 1'heureuse idée de publier avec des com­mentaires érudits. Puisse Guillaume Desbiey accéder au XXème siècle à une notoriété méritée que, par un concours malheureux de circonstan­ces, lui a refusé le XVIIIème siècle finissant, dont il est pourtant un digne représentant, avec son enthousiasme parfois naïf, ses utopies et ses solutions d'avenir.

 

Philippe LOUPES Professeur à l'Université de Bordeaux III